LA MÉMOIRE TRAUMATIQUE

Publié le 13 Juin 2010

Par Dr Muriel Salmona

Psychiatre - psychotraumatologue
Médecin-coordinateur Victimologue

Responsable de l'Antenne 92

de l'Institut de Victimologie

92340 Bourg la Reine

FRANCE

La mémoire traumatique, trouble implicite de la mémoire émotionnelle, est une conséquence psychotraumatique des violences les plus graves se traduisant par des réminiscences intrusives qui envahissent la conscience (flash-back, illusions sensorielles, cauchemars) et qui font revivre à l’identique, tout ou partie du traumatisme, avec la même détresse, la même terreur et les mêmes réactions physiologiques, somatiques et psychologiques que celles vécues lors des violences. Anhistorique, non-intégrée, hypersensible, elle est déclenchée par des sensations, des affects, des situations qui rappellent, consciemment ou non, les violences ou des éléments de leur contexte, et ce jusqu’à des dizaines d’années après le traumatisme. Elle est particulièrement fréquente chez les victimes de violences sexuelles, de maltraitance dans l’enfance et d’actes de barbarie et de tortures, et elle est à l’origine des symptômes psychotraumatiques les plus graves, les plus chroniques et les plus invalidants.


Très difficile à calmer, la mémoire traumatique peut, particulièrement quand elle est parcellaire ou sensorielle, ne pas être identifiée ni reliée au traumatisme ce qui la rend d’autant plus déstabilisante et déstructurante (impression de danger et de mort imminents, de devenir fou). Elle s’apparente à une bombe prête à se déclencher à tout moment, transformant la vie en un terrain miné, nécessitant une hypervigilance et une mise en place de stratégies d’évitements et de contrôles épuisants et handicapants (évitements des situations, de sensations, de la pensée, des émotions) ainsi que d’auto-traitement par des conduites dissociantes qui permettent de s’anesthésier. Les mécanismes neuro-biologiques et neuro-physiologiques qui la sous-tendent commencent depuis quelques 

années à être bien connus et permettent d’élaborer des modèles théoriques qui éclairent la génèse de nombreux symptômes psychotraumatiques mais aussi de troubles psychiques associés très souvent présents et difficiles à comprendre chez les victimes comme les troubles de la personnalité, du comportement et des conduites (particulièrement les conduites à risque, les conduites auto-agressives et les addictions). Étude clinique et recherche fondamentale en neurosciences s’associent comme le souhaitait Freud pour proposer un modèle explicatif cohérent utilisable pour la clinique et le traitement.



Mécanismes à l’oeuvre :

Les mécanismes neuro-biologiques qui sont à l’origine de cette mémoire traumatique sont assimilables à des mécanismes de sauvegarde exceptionnels qui, pour échapper à un risque vital intrinsèque cardio-vasculaire et neurologique induit par une réponse émotionnelle dépassée et non contrôlée, vont faire disjoncter le circuit de réponse émotionnelle (comme dans un circuit électrique en surtension qui disjoncte pour sauvegarder les appareils). Le circuit neurologique en question est le système limbique dont les principales structures sont les amygdales, les hippocampes et le cortex associatif; lors d’un danger les amygdales, structures cérébrales sous-corticales qui contrôlent les réponses émotionnelles et la mémoire émotionnelle implicite sont activées et vont, avant même que le cortex sensoriel et associatif soit informé et puisse lire et interpréter l’événement, déclencher une réponse émotionnelle par l’intermédiaire de la production d’adrénaline par le système nerveux autonome (pour augmenter le rythme et le débit cardiaque la pression artérielle, la fréquence cardiaque et stimuler la glucogénèse) et de la production de cortisol par l’axe hypothalamo-hypohyso-surrénalien (pour stimuler la néoglucogénèse) dont le but est de fournir à l’organisme avec de l’oxygène et du glucose disponibles en grande quantité, les ressources en énergie nécessaires aux organes pour répondre au danger (affrontement ou fuite). Les amygdales donnent aussi simultanément des

informations émotionnelles au cortex associatif pour qu’il puisse en tenir compte afin d’ analyser le danger et de prendre des décisions et à l’hippocampe, qui est le “logiciel” indispensable pour traiter et stocker les souvenirs et les apprentissages et aller les rechercher ensuite. Une fois les amygdales “allumées” elles ne peuvent se moduler ou s’éteindre que par l’action du cortex associatif et de son travail d’analyse et de prise de décisions, aidé en cela par la “banque de données” de souvenirs d’apprentissage et de repères spatio-temporels que lui a fourni l’hippocampe. Lors de violences extrêmes, incompréhensibles, confrontant à l’implacable entreprise de destruction de l’agresseur, à sa mort imminente, sans échappatoire possible avec une impuissance totale et faisant s’effondrer toute les certitudes acquises, le cortex et l’hippocampe sont dans l’incapacité de se représenter l’événement, de l’intégrer et de relier à des connaissances ou des repères acquis et donc de moduler ou d’éteindre les amygdales : la réponse émotionnelle reste maximale et les taux d’adrénaline et de cortisol deviennent toxiques pour l’organisme, toxicité cardiaque et vasculaire pour l’adrénaline (risque d’infarctus du myocarde de stress et d’hypertension maligne), toxicité neurologique pour le cortisol (risque épileptique et de mort neuronale par apoptose pouvant aller jusqu’à 30% du volume de certaines structures, hippocampe et cortex préfrontal), véritable “survoltage” confrontant à un risque de mort imminente qui entraîne la mise en place d’une voie de secours exceptionnelle qui va faire disjoncter le circuit limbique , déconnecter les amygdales et éteindre la réponse émotionnelle grâce à la secrétion par le cerveau de drogues dissociantes endogènes, endorphines et drogues “kétamine-like” (des antagonistes des récepteurs NMDA du système glutamatergique). Les amygdales sont éteintes et malgré les violences qui se poursuivent il n’y a plus de réponse émotionnelle donc plus de risque vital, plus de souffrance physique les endorphines produisant une analgésie. Les amygdales sont déconnectées des hippocampes, la mémoire émotionelle ne va pas pouvoir être traitée et intégrée et va rester piégée : c’est la mémoire traumatique; les amygdales sont déconnectées du cortex qui ne reçoit plus d’information émotionnelle les stimuli traumatiques vont continuer d’arriver au cortex sensoriel mais ils vont être traités sans connotation émotionnelle et sans souffrance physique ce qui va donner une impression d’étrangeté, d’irréalité, de dépersonnalisation, d’être spectateur des événements, les drogues “kétamine-like” de plus entraînent des sensations de  transformations corporelles et de distorsions spatio-temporelles : c’est la dissociation péri-traumatique. Au total le risque vital lié au stress extrême généré par les violences est évité au prix  d’une disjonction responsable d’une mémoire traumatique et de symptômes dissociatifs. 


Pour éviter de déclencher la mémoire traumatique, des conduites de contrôle et d’évitement vont
  ensuite être mis en place par la victime. Mais quand ces conduites ne suffisent plus et que la mémoire  traumatique “explose” entraînant détresse, terreur et angoisse insupportables, le plus souvent  seules des conduites “d’auto-traitement” dissociantes dont la victime a fait l’expérience de leur  efficacité vont pouvoir calmer l’état de détresse. Il s’agit alors de redéclencher la disjonction du circuit  émotionnel en augmentant le niveau de stress pour recréer un niveau de survoltage suffisant,  par des conduites agressives contre soi-même (tentatives de suicide, auto-mutilations) ou contre autrui,  des conduites à risque de mise en danger, des prises de produits excitants (amphétamines) ou  en le déclenchant directement par des drogues dissociantes (alcool, cannabis, héroïne....). Cette disjonction  provoquée va entraîner une anesthésie affective et physique, une dissociation et calmer  l’angoisse, mais elle va aussi recharger et aggraver la mémoire traumatique et créer une dépendance  aux drogues dissociantes. Ces conduites dissociantes qui s’imposent sont à la fois paradoxales et  déroutantes, douloureuses et incompréhensibles pour les victimes et pour les professionnels qui s’en  occupent, elles sont responsables de sentiments de culpabilité, de honte, d’étrangeté, de dépersonnalisation et d’une vulnérabilité accrue face au monde extérieur et plus particulièrement face aux  agresseurs, lesquels connaissent bien par expériences ces phénomènes dont ils profitent pour assurer  leur emprise sur les victimes et pour les instrumentaliser (ils sont eux-mêmes aux prises avec une  mémoire traumatique et ils utilisent les victimes pour gérer à leur place les conduites d’évitement et  pour se dissocier grâce aux explosions de violence qu’ils leur font subir, ce qui permet aux agresseurs  de s’anesthésier, les victimes étant leur “drogue”) .


La prise en charge va à la fois aider les victimes à sortir de leur isolement, à mieux se comprendre,  à retrouver une dignité, à se sentir soulagées, déculpabilisées et à reprendre espoir. Cette amélioration  se fait en identifiant les violences, en permettant aux victimes de comprendre l’origine de leur  souffrance, de faire des liens entre les violences et leurs symptômes en comprenant les mécanismes  neuro-biologiques et psychologiques des psychotraumatismes, en “revisitant” les violences en ouvrant  toutes les portes que nous offre les manifestations de la mémoire traumatique (véritable témoin  de l’horreur indicible vécue). Il s’agit de réunir et en replacer toutes les pièces isolées qui vont  permettre de reconstruire l’événement traumatique avec cette fois-ci un accompagnement, une  chronologie retrouvée et une élaboration de grilles de lecture, de représentations, d’interprétation et  d’intégration qui vont être efficaces pour moduler et éteindre les réponses émotionnelles sans le recours  à la disjonction et rendre ainsi inutiles les conduites d’évitement et les conduites dissociantes. La mémoire traumatique “déminée”, “désamorcée” va pouvoir être réintégrée dans une mémoire  explicite narrative et autobiographique libérant l’espace psychique, l’arrêt des conduites dissociantes  va permettre une récupération neurologique (neurogénèse) et la récupération d’un sentiment de  cohérence et d’unité, de “retrouvaille avec soi-même”.

Rédigé par Kilou

Publié dans #Symptomes, conséquences

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V
<br /> <br /> pardonnez-moi encore de vous assomer de mes commentaires, cela fait du bien de pouvoir parler à quelqu'un qui peut comprendre, mais j'ai oublié de vous préciser que mon fils est enregistré à la<br /> MDPH avec un handicap à 50 pour 100 dû à sa phobie scolaire et ses autres diverses phobies et c'est déjà terriblement dur de vivre cela avec lui, de s'occuper de ses problèmes et en plus de se<br /> sentir seule et incomprise par beaucoup, pas tous heureusement!<br /> <br /> <br /> voilà donc je tenais à vous l'expliquer<br /> <br /> <br /> merci encore<br /> <br /> <br /> V.<br /> <br /> <br /> <br />
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K
<br /> Je reponds très tard , j'en suis navrée...Avez vous essayé un Kinésiologue pour votre fils? c'est une autre manière d'expurger ses angoisses http://www.kinesiologie-koenig.com/html/kinesiologie.htm<br /> et j'ai aussi entendu parler d'une autre méthode qui me parait intéressante, la Microkinesitherapie: http://www.microkinesitherapie.com/fr/comment-se-deroule-une-seance N'hésitez pas à faire des<br /> essais, il faut que votre fils sorte de sa grande souffrance. Je vous invite aussi à consulter car vous avez besoin de vous reconstruire et l'équilibre de votre enfant passe par là.<br /> <br /> <br />
V
<br /> <br /> merci, je trouve que votre blog est très bien, il manque, selon moi, juste un aspect des choses comme je vous le disais : nous avons vu plusieurs psychiatres et aucun n'arrive ni à soigner<br /> réellement mon fils de ses angoisses et de ses traumatismes ni à réperer ce qui a pu réellement se passer avec son père. J'ai alors téléphoné au Dr Hirigoyen et sa secrétaire m'a dit ne pas<br /> connaitre de psy spécialiste en la matière à nice. Hors nous subissons toujours les mêmes choses : la responsabilité m'est attribuée et on me demande d'essayer de discuter avec le père de mon<br /> fils pour arranger certaines choses!! c'est l'abération totale!!! il y a bien longtemps que je ne discute plus avec lui , ni n'entre plus dans ses jeux car j'ai bien compris son fonctionnement<br /> mais mon fils le voit tous les 15 jours et bien qu'ayant presque 16 ans et étant tout à fait clairvoyant sur les manipulations de son père, il n'arrive pas à sortir de ses problèmes. c'est<br /> catastrophique, les psy ne sont pratiquement pas formés, il semblerait à ce qu'est un pervers narcissique, aux dégats qu'ils occasionnent sur les mères et les enfants, à l'état dans lequel ils<br /> nous mettent et on passe pour des angoissés, etc...il y a de quoi cependant être mal.  seulement un psychologue que nous avions rencontré il y a longtemps a su tout de suite voir la<br /> problématique. <br /> <br /> <br /> je ne sais alors vers qui me tourner et je redoute à présent cette extrème culpabilisation (déjà systématiquement faite aux mères! mais là c'est encore pire, on m'a démolie plus d'une fois!) et<br /> mon fils me demande un rendez-vous avec un psy pour soulager ses angoisses.  Et lui aussi a perdu confiance en la psychiatrie...<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> merci encore de votre écoute et si vous avez des témoignages dans ce sens je les lirai volontier.<br /> <br /> <br /> V.<br /> <br /> <br /> <br />
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K
<br /> <br /> Si je peux vous aider, c'est volontiers.<br /> <br /> <br /> <br />
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V
<br /> <br /> merci beaucoup Kilou pour ces informations.... je vais alors voir ce qui peut nous aider.<br /> <br /> <br /> je sais en effet que le mot PERVERS n'est pas très bien compris ou tout simplement méconnu, mais je me dis qu'auprès de psy cela ne devrait pas être un mystère...et pourtant! hélas tout dans les<br /> comportements de ces manipulateurs laisse à croire qu'il n'y a rien d'anormal, et c'est nous les victimes qui passons pour "dérangées"...j'ai l'habitude. j'ai oublié de vous mentionner que je<br /> suis divorcée depuis plus de 10 ans mais que mon fils souffre de grandes angolisses et de phobies scolaire et que je me bats depuis des années pour trouver un vrai soutien pour lui comme pour<br /> moi.<br /> <br /> <br /> depuis j'arrive à détecter tout de suite à qui j'ai à faire mais j'ai le sentiment alors d'être toujours sur la retenue avec tout le monde et de fuir tout le temps. Je ne vois pas bien comment je<br /> pourrais reconstruire ma vie dans ces conditions...<br /> <br /> <br /> merci encore de votre réponse et j'espère pouvoir vous lire encore si vous avez d'autres informations à me donner.<br /> <br /> <br /> V.<br /> <br /> <br /> <br />
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V
<br /> <br /> bonjour,<br /> <br /> <br /> j'apelle à l'aide car je suis sur Nice et ici il n'y a aucun thérapeute ou autre qui tiennent compte de mes traumatismes d'avec plusieurs pervers. Mon fils est aussi en détresse, son père étant<br /> un pervers, mais il semblerait que personne ne nous croient vraiment, ou à moitié. C'est d'autant plus douloureux car c'est bien nous les victimes! bien sur son père est en apparence un homme<br /> tout à fait charmant et cohérent, il a une très bonne situation professionnelle et a réussi à maintes fois lors de procédures à manipuler tout le monde. Je cherche en vain quelqu'un pour nous<br /> aider mais les psychothérapies classiques ne marchent pas. Mon psy dit même qu'il est sans doute un peu pervers mais qu'il faut trouver le moyen de discuter avec lui!!! je lui réponds que j'ai<br /> bien constaté que depuis des années c'est impossible et qu'il est structuré ainsi qu'il ne s'agit pas simplement de petits comportements pervers.<br /> <br /> <br /> merci de me répondre et de m'orienter si possible vers une aide, j'ai besoin de sortir de tout ça, car j'en suis à me méfier de tout le monde et alors à m'isoler ainsi que mon fils.<br /> <br /> <br /> merci encore mille fois de votre écoute.<br /> <br /> <br /> V.<br /> <br /> <br /> <br />
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K
<br /> <br /> Vous devez vous tourner vers une association qui lutte contre la violence morale ou conjugale, familiale.Je vous conseille aussi de ne pas trop parler de PN mais plutot de manipulation ou<br /> manipulateurs, ça passe mieux.<br /> <br /> <br /> http://www.sosfemmes.com/ressources/contacts_tel_local.htm<br /> <br /> <br /> J'espere vous avoir aidé...un peu.<br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> <br /> merci pour vos encouragements :) je suis dépendante affective et se soigner est très difficile, ...j'essai ee m'entourer de livre traitant sur le sujet mais cela n'est pas suffisant  ; peut<br /> etre connaitriez vous d'autres sites ou de forum qui pourrait m'apporter de l'aide ;<br /> <br /> <br /> <br />
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K
<br /> <br /> Il y a bcp de forums sur le net pour en parler, comme il y a aussi des groupes de parole et des psy. Il suffit de faire une recherche dans google ou dans les liens qu'il y a sur la droite du<br /> blog;)<br /> <br /> <br /> La dependance affective se soigne chez un psy, dans les cas des victimes c'est salvateur, savoir d'où ça vient, le comprendre et l'analyser, savoir ce qui fait qu'on manque d'autonomie affective<br /> et y remedier..les professionnels sont là pour ça.<br /> <br /> <br /> La route peut être courte ou longue mais en tous les cas c'est un cheminement très positif,c'est celui qui aide à s'en sortir en se connaissant mieux et en reprenant confiance.<br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> <br /> bonsoir,<br /> <br /> <br /> ça fait vraiement drole quand on lit des descriptions si proches de celle de son époux ; ça fait froid dans le dos !<br /> <br /> <br /> <br />
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K
<br /> <br /> Oui en effet, les manipulateurs se ressemblent fort et les consequences sur les victimes sont dévastatrices, bon courage!<br /> <br /> <br /> <br />